Women in Africa : les femmes à la barre pour changer le destin de l’Afrique

Il flottait comme un air de sororité, d’empowerment, comme on dit désormais. À l’honneur lors de la 2e édition du Women in Africa (WIA) qui s’est tenue à Marrakech : l’entrepreneuriat au féminin.

Lors du IIe Women in Africa, Hafsat Abiola, Aude de Thuin et d’autres talents féminins en compagnie du Prix Nobel de Littérature 1986 Wole Soyinka. © WIA

Forum d’excellence, le WIA est « une plateforme internationale de développement économique et d’accompagnement des femmes africaines leaders et à haut potentiel ». Dans la ville ocre, les 27 et 28 septembre derniers, ils étaient rares, les hommes, ces deux jours-là. Quelques-uns, presque embarrassés ou précautionneux de se retrouver là, au milieu de tant de femmes : Cédric Villani promenait sa haute silhouette et sa lavallière –violette ce jour-là –, avec l’air de celui qui est un peu perdu mais souhaite faire preuve de bonne volonté. Pourtant, rien à craindre, aucune amazone émasculante, mais des femmes porteuses de projets, d’idées, d’ambitions pour elles, pour leur pays et pour l’Afrique au féminin. Quatre cents personnes venues de partout, d’Afrique évidemment, mais aussi d’Asie et d’Europe. Parmi les hommes invités au WIA, le Nigérian Akinwande Oluwole Babatunde Soyinka, Prix Nobel de Littérature, qui appela « à ne rien lâcher face aux opposants à l’éducation des filles », dénonçant au passage l’enlèvement par Boko Haram des lycéennes nigérianes de Chibok. Message reçu par une assemblée acquise.

Deux femmes puissantes : Aude de Thuin…

« Vous savez, il fallait être un peu folle pour lancer WIA », glisse avec amusement Aude de Thuin, la femme d’affaires française à l’origine de la plateforme. Et cette folie, celle qui fut aussi à l’origine du Women’s forum en 2000 en a à revendre. De la colère aussi, affirme-t-elle en marge de la grande salle ombrée où se déroulent discussions, discours et conférences : « J’ai créé le Women’s forum car, à l’époque, j’avais souhaité me rendre au forum économique de Davos. Je n’ai jamais eu de réponse à ma candidature. J’ai compris que c’était parce que j’étais une femme et que j’avais une petite entreprise de 45 salariés. Cela m’a mise en colère. Je le suis depuis petite. Je suis née dans une famille de six filles où à chaque naissance, on disait : « Encore une fille ! » Mais j’ai fait de cette colère quelque chose de constructif. J’ai créé. »

Cinq ans après, des difficultés financières obligent Aude de Thuin à céder son entreprise, dont elle est aussi renvoyée. Burn out pour elle. « Je suis allée en Afrique, j’ai écrit un livre, Femmes si vous osiez, le monde se porterait mieux. Mes amies sud-africaines me poussaient à agir. Elles voulaient que je mette mon énergie, mon réseau et surtout ma folie au service des femmes africaines. WIA est né. Mais avant, j’ai voulu savoir quelle était ma légitimité à agir, en tant que femme européenne. »

Un manque de légitimité qui fut parfois soulevé, questionnement récurrent qui a failli pousser Aude de Thuin à tout stopper. « L’an passé notamment. « On m’a dit : “C’est très bien ce que tu fais, mais tu es blanche. » Mais j’ai dépassé cela. Je suis une femme mondiale, et c’est à ce titre que j’agis. C’est ma légitimité. J’en ai souffert parce que je suis fragile. Mais si je n’étais pas fragile, je ne ferais pas ce que je fais. »

… et Hafsat Abiola, parmi d’autres

Si la première édition de WIA fut un succès, il fallait pour la deuxième passer le flambeau et trouver pour cela la candidate idéale. Pour Aude de Thuin, l’évidence du choix s’est portée sur Hafsat Abiola. Diplômée de Harvard et de la Phillips Academy, Hafsat Abiola est la fille de Moshood Abiola, candidat et présumé vainqueur de l’élection présidentielle de 1993 au Nigeria. Sa mère, Kudirat Abiola, fut assassinée pour avoir demandé la libération de son mari, lequel mourut en prison. « Hafsat était alors fondatrice et présidente de Kudirat Initiative for Democracy dont le but est de renforcer la société civile et promouvoir la démocratie au Nigeria. Elle était déjà ambassadrice WIA. J’avais l’intuition que j’avais devant moi la nouvelle présidente », se rappelle Aude de Thuin.

À ce souvenir, Hafsat Abiola sourit doucement. « J’ai accepté la proposition d’Aude car je savais pouvoir faire du bon travail et que tout dans ma vie m’a préparée à ce travail. J’ai grandi dans une famille panafricaniste et philanthrope. WIA est le présent du futur de l’Afrique. » Rien de heurté chez Hafsat Abiola : ni la voix, douce, ni l’allure, souple et paisible. Mais des idées claires, un objectif défini pour WIA, des positions affirmées, sinon arrêtées. « L’Afrique est peuplée de 1,2 milliard d’habitants. La population doublera dans 20 ans. Il ne sera plus possible d’agir avec l’Afrique de la façon dont cela se fait actuellement. »

Dépasser l’aspect élitiste

Mais comment faire, alors que les allées du sommet bruissent de leaders, de cadres de banques ou de multinationales, PDG ou CIO comme on dit dans cet anglais acronymique passe-partout ? « Je souhaite éviter le côté élitiste de WIA. L’élite africaine n’est parfois que le relais de l’agenda global occidental. Pour changer la place de l’Afrique dans les enjeux mondiaux, il faut dépasser cet aspect élitiste », martèle doucement Hafsat Abiola. Une opinion que partage Aude de Thuin pour qui c’est précisément tout l’enjeu de WIA, mettre au service de « la femme africaine » le savoir-faire de femmes connectées au tempo du monde, celui des affaires plus précisément. Mais au rythme des sociétés africaines car, précise la fondatrice : « Je suis à l’origine des quotas dans les multinationales en France. Mais je ne pense pas qu’il faut importer cela en Afrique. C’est un changement fondamental de société, il faut agir par la preuve, sans trop bousculer. »

La nouvelle présidente de WIA pose pourtant déjà le tempo qu’elle entend imprimer à sa présidence : « Le but principal de WIA est de transformer l’Afrique en utilisant l’énergie des femmes africaines. Il s’agit de concentrer ces forces sur des plateformes effectives qui permettront la renaissance de l’Afrique. La situation de l’Afrique n’a pas été créée par nous, mais elle peut être résolue par nous. WIA a des ambassadrices dans 30 pays africains environ. Mais nous souhaitons nous élargir à d’autres parties du monde. Créer également des conseils de femmes qui offriront un modèle de gouvernance au féminin. »

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