Bannies de la société, socialement et physiquement mortes, bafouées dans leur dignité, obligées très souvent de se pendre car ne sachant pas quoi faire ou voulant éviter toute moquerie ou toute raillerie, chassées et exclues de leurs familles, contraintes d’abandonner les siens malgré elles-mêmes et contre leur gré, abandonnées à leur propre sort et sans refuge, humiliées au vu et au su de tout le monde, des femmes dont l’âge est compris entre 40 à 90 ans( c’est-à-dire des personnes d’un certain âge), sont accusées de sorcellerie.
Appelées « mangeuses d’âmes, la plupart qui viennent de Pilimpikou dans la commune rurale de Yako, de Gourcy et même de Téma Bokin, ne sachant pas où aller, se dirigent vers des centres d’accueil pour personnes vulnérables afin de refaire une nouvelle vie.
Beaucoup d’entre elles qui sont traumatisées, arrivent à s’en sortir, à prendre courage, à supporter les humiliations subies grâce à ces centres qui les accompagnent spirituellement, moralement, financièrement et en quelques temps, elles s’habituent à leur nouvelle vie espérant retrouver un jour tout ce qu’elles ont abandonné.
« La loi CNT 61 protège un peu les femmes (protection contre les violences faites aux femmes). En 2016, l’adoption de la loi CNT 21 qui porte sur la promotion et la protection des personnes âgées. Dans cette loi, on protège beaucoup plus les personnes âgées y compris la lutte contre l’exclusion sociale par allégation de sorcellerie. Des sanctions sont prévues par la loi » Dixit le Directeur régional des Droits Humains du Centre-Nord, Isaïe Bamogo.
Bien que ces deux lois existent avec des sanctions prévues, le phénomène de l’exclusion sociale des vieilles par allégation de « mangeuses d’âmes » a la peau dure et continue de faire des victimes, a-t-il poursuivi tristement.
C’est pour mieux appréhender cette préoccupation et contribuer à son éradication complète, que l’ONG « Voix des Femmes » a initié une caravane de presse pour sillonner des localités dans lesquelles sévit le phénomène.
Plus d’une vingtaine de journalistes de la presse en ligne, de la presse écrite, de la radio, de la télé, pendant six jours (du lundi 29mars au samedi 3 avril 2021), ont parcouru les villes de Boussé, Yako, Téma Bokin et Kaya pour s’imprégner de la triste réalité à travers des interviews, des causeries avec des acteurs religieux, coutumiers , étatiques et administratifs et des victimes afin qu’ensemble cette triste réalité soit un mauvais souvenir les années à venir .
Le 1er site à être visité par les hommes de média, se trouve dans la Paroisse Jean Marie Vianney à Yako dans la Région du Nord. Là, vivent 14 vieilles femmes dont l’âge est compris entre 40 à 90ans dans des maisons vétustes et qui laissent à désirer. La tristesse et le désarroi se lisaient sur les visages des unes et des autres (parce qu’elles se sentent abandonnées des siens malgré le bon traitement qui leur est réservé par les religieux). Ce même constat se lisait chez les communicateurs puisque c’est la 1ère fois que beaucoup d’entre eux étaient confrontés à ce genre de situation. Malgré leur bonne fois, les responsables de la Paroisse sont obligés de demander du secours à d’autres centres d’accueil ou même dirigent les personnes vulnérables vers ces centres à cause du manque d’espace à leur niveau a expliqué tristement le Curé de la dite Paroisse Abbé Vincent de Paul Ouédraogo « Ce sont en toutes 14 vieilles femmes qui sont là et ça continue d’arriver. Le phénomène est devenu un peu très récurrent : presque tous les trois mois, nous recevons des victimes et quelque fois on est obligé de leur faire comprendre qu’on ne peut pas toutes les recevoir ici, ce qui fait qu’on les oriente vers d’autres structures et c’est surtout la région de Pilimpikou qui nous envoie le plus de vieilles et c’est dommage » .
Malgré les quelques difficultés rencontrées de part et d’autres, ces victimes se sentent à l’aise, ont-elle confié.
Il est à noter que c’est la Paroisse de Téma Bokin qui accueille à bras ouvert certaines femmes venues de la Paroisse Saint Vianney de Yako ainsi que les femmes originaires d’autres contrées.
Contrairement aux femmes de la Paroisse Saint Vianney de Yako, celles de Téma Bokin ont un cadre idéal et sont plus épanouies.
Tout se passe plus ou moins bien pour elles, puisqu’on leur offre un cadre familial dans lequel l’espoir de revivre est possible, a souligné le Vicaire à la Paroisse de Téma Bokin Abbé Roland Kiswensida Sawadogo, « Quand elles arrivent ici, nous essayons de leur offrir un cadre familial ou l’espoir de revivre est possible : elles revivent en famille et avec d’autres, elles essaient de construire leur futur qui a été brisé par beaucoup d’hommes , beaucoup de femmes de là ou elles viennent, donc, on leur donne un cadre de vie ».
En plus du cadre familial, elles essaient d’entreprendre tout d’abord certaines activités comme l’élevage, le jardinage le mil germé , un peu de tissage et d’autres petites activités pour pouvoir subvenir à leurs petits besoins, et l’Eglise aussi essaie de faire quelque chose pour les aider a-t-il ajouté « il y’a beaucoup d’autres organisations qui interviennent comme OCADES . L’Eglise Catholique avec OCADES essai de faire ce qu’elle peut pour ces vieilles parce qu’il y’a le coté social de l’Eglise. L’Eglise est missionnaire et cette mission consiste à sauver l’homme et tout l’homme. L’homme est corps et esprit, il faut sauver l’homme de réalités corporelles et l’aider aussi et le sauver en tant que réalité spirituelle, on ne peut pas dissocier le spirituel du corporel, l’homme, c’est un tout ; ici ce que nous faisons, c’est de donner un sens à l’existence de toutes ces personnes ».
Ces femmes sont aussi suivies spirituellement a noté Sœur Solange Ouédraogo, religieuse dans la Congrégation des sœurs de l’Immaculée Conception de Ouagadougou « Au foyer ici, nous suivons spirituellement les femmes. Par exemple les samedis, je viens ici pour la liturgie. J’essaie de lire la parole de Dieu et essaie aussi de leur expliquer la Bible. Nous avons 30 personnes âgées à notre charge, La plupart sont accusées de sorcellerie, ce qui fait qu’elles ne peuvent plus restées dans leurs familles respectives et viennent chercher une vie ici.
La vieille qu’on vient d’interviewer a 90ans la moins âgée a 40 ans à peu près ».
L’Action Sociale aussi leur vient en aide à travers une prise psychologique, a-t-elle dit « Et c’est le prête responsable qui peut vous renseigner sur la question, mais de temps en temps, je vois des agents de l’Action Sociale qui passent leur rendre visite.
Il y’a beaucoup d’amélioration maintenant par rapport à leur venue .Coté mental, elles se sentent chez elles maintenant ; ce n’était pas du tout facile au début puisqu’elles sont traumatisées et passent très souvent des nuits entières à pleurer, donc, c’est petit à petit que nous arrivons à remonter leur moral ».
Ces malheureuses sont acceptées et accueillies dans le centre après que le Curé de la Paroisse d’où elles viennent ait pu leur fournir des informations sur elles, a-t-elle insisté.
Et parlant de difficultés rencontrées, la Sœur a sollicité plus d’aide aux bonnes volontés et aux acteurs étatiques afin qu’ils (religieux) puissent mieux subvenir aux besoins de ces femmes.
Ce phénomène qui sévissait à Kaya, est en train d’être éradiqué puisqu’on ne parle plus de sorcellerie comme avant ont lâché le Baloum Naaba, 1er Ministre et chef de Canton du Sanmatenga avec ses paires « On ne parle plus de sorcellerie ici, les leaders coutumiers ont bataillé dur afin que ce phénomène soit éradiqué. Nous allons vous demander, vous la presse, de nous aider à travers vos écrits et images ».
Des victimes se prononcent.
Qu’elles soient de la Paroisse Saint Vianney de Yako ou de celle de Téma Bako, les femmes exclues socialement par allégation de mangeuses d’âmes, ont toutes été selon leurs dires accusées à tort et en aucun moment, on leur donne la parole de pouvoir s’exprimer.
Née en 1960 et venant de Pilimpikou, Bénébnladé Jeanne Marie Séogo , mère de sept enfants (deux ne vivent plus) , veuve ( déjà veuve quand elle quittait les siens ), a été chassée de son village et vit à la Paroisse Saint Vianney de Yako depuis sept ans.
La cause de cette rupture est due au fait qu’elle a été accusée de sorcellerie, a-t-elle avancée tristement « J’ai eu 7 enfants et deux sont morts et j’ai aussi perdu mon mari j’ai un fils et quatre filles. Quand on me chassait, j’étais déjà veuve. Un homme a perdu son enfant et quand on a porté le Séongo, il est venu directement me cogner. Je ne suis pas sorcière et comme ce sont des gens qui se sont concertés pour me chasser, on n’y peut rien.
J’ai pris des renseignements et on m’a dirigé vers ici, Dieu merci les sœurs m’ont accueilli. Mes enfants me rendent régulièrement visite et je ne compte pas repartir pour ne pas causer d’ennuis à mes proches.
Je remercie Dieu toutes les autorités et la population de Yako pour l’accueil et je ne manque de rien et nous sommes régulièrement suivies coté santé.
Si on ne t’aime pas, on t’accuse et comme je n’y peux rien, je me suis cherchée. La cohabitation est bonne avec les autochtones et ce que j’ai à demander, est que les religieux soient beaucoup accompagnés par nos autorités afin qu’ils puissent bien nous prendre en charge parce que malgré leur bonne volonté, ils sont limités ».
Tout comme Jeanne, Germaine Ouédraogo , née en 1968 et originaire de Grand-Samba, a été elle aussi contrainte d’abandonner sa famille pour se réfugier à la Paroisse Saint Vianney de Yako, car selon elle, on lui avait fait savoir que c’est son âme (après des rites coutumiers) qui a reconnu avoir attraper l’âme d’une personne et qu’elle devait partir « et je voulais qu’on fasse des rites afin que je sois acquittée, mais ils ont refusé ; ça fait trois ans que je suis ici et ce sont mes enfants qui viennent me voir ».
Agée de 90ans, originaire d’Arbolé mais mariée à Téma Bokin, abandonnée et même oubliée par les siens, Lydie Ouédraogo a été accusée d’avoir mangé l’âme d’une très jeune femme, a-t-elle dit « Sans vous mentir, les prêtes s’occupent très bien de nous. Aucun membre de ma famille ne vient me rendre visite, je suis abandonnée et même oubliée par ces derniers et cela m’affecte négativement. Grâce aussi à la compréhension de la population de Téma Bokin, nous vivons ici sans être inquiétées, si non, elle allait aussi nous chasser , mais Dieu merci on collabore ensemble et il n’y a pas de problème ».
Lydie aimerait retrouver ceux qu’elle a quittés, car selon elle, l’accouchement fait très mal et comme elle est très âgée, elle ne peut plus rien faire « C’est vrai que j’aimerais repartir retrouver les miens qui me manquent énormément si l’occasion se présentait l’accouchement fait très mal .Regardez-moi, je suis devenue très âgée pour être ici sans parents ni enfants. Si j’étais en famille, ce sont mes enfants qui allaient préparer. Mais hélas ! Ici, tu es obligée de préparer toi-même pour pouvoir manger du moment que tu n’a personne pour le faire. Souvent, tu es très fatiguée, mais tu es obligé de préparer si tu veux manger, même l’eau, il faut que tu la puise. En venant ici, aucun membre de ma famille m’a suivi .Cependant, il y’a des femmes qui sont dans un quartier tout juste derrière nous qu’on appelle ( quartier non loti ) dont leur mari a acheté pour elle afin qu’elles soient à l’aise et non abandonnées ; ces derniers s’occupent très bien d’elles et la plupart sont avec leurs enfants , leurs belles filles et leurs petits fils. Elles et nous ne pouvons pas être la même chose .Nous qui sommes ici, c’est grâce à Dieu et à de bonnes volontés que nous existons, si non, on allait avoir chaud. On se confie à Dieu et à la communauté religieuse ».
Pauline Sawadogo, mère de neuf enfants (dont un ne vit plus), avec quatre coépouses quant à elle vit à la Paroisse de Téma Bokin depuis 15ans.
Accusée elle aussi de sorcellerie et cognée par le Séongo (le mort était arrêté devant moi) ,suite au décès d’un enfant de un an et demi selon ses dires, s’est rétrouvée malgré elle chez les religieux qui s’occupent très bien d’elles.
Ce qui lui fait très mal, c’est le fait qu’elle soit obligée d’abandonner ses enfants « Je pense quotidiennement à ma progéniture qui n’arrive et ne peut pas nous voir, de peur d’être elle aussi chassée tout comme nous ».
Personne n’a le droit d’être punie sans raison et ni cause, et nous prions Dieu tous les jours afin que ce phénomène soit totalement éradiqué, puisqu’il bafoue la dignité de la femme, ont-elles lâché amèrement « Nous sommes nées trouver qu’il y’a des gens qui meurent et même après nous, des gens continueront à mourir, si nous retrouvons nos familles et qu’il y’ait décès encore, c’est nous encore qu’on va accuser d’avoir mangé l’âme de la personne, si non que nous avons très envie de retrouver nos enfants ; mais hélas, on a toutes très peur .Puisse Dieu nous venir en aide afin qu’on fasse finir ce problème de sorcellerie à travers lequel on accuse d’honnêtes citoyens, car le Boudou (la communauté est grande ».
Avant que la presse ne prenne congé d’elles, elles ont lancé un cri de cœur à l’endroit de tous afin que chacun puisse apporter sa contribution qui permettra l’amélioration de leurs conditions de vie puisque les religieux à eux seuls ne peuvent pas tout faire.
NB : Le centre d’accueil de Téma Bokin est le seul centre dans lequel chaque femme a sa piaule, si non qu’à Yako, elles sont obligées de partager la même maison.
benedicteoued@gmail.com