Leadership féminin : Édith Dah, la 1ère et la seule Femme Enseignante-chercheure en philosophie à l’université Joseph Ki-Zerbo ( département de philosophie et psychologie).

Recrutée comme enseignant-chercheur et nommée comme Assistante à l’Université Joseph KI-ZERBO de Ouagadougou en janvier 2019, Édith Da a soutenu sa thèse de Doctorat unique le 02 aout 2017 sur le thème « Éthique et politique chez Aristote : la question de la citoyenneté ».

Inscrite sur la liste d’Aptitude aux fonctions de Maître-Assistant au CAMES en juillet 2022, Édith a confié avoir comme principaux centres d’intérêts la philosophie politique et morale et la philosophie antique et d’ajouter que ses travaux publiés portent sur la philosophie politique, la citoyenneté, l’éthique, la démocratie et le féminisme. Cette Docteure est aussi une Féministe engagée.

Ayant participé d’abord à la formation sur le Féminisme organisée par le Collectif des Féministes du Burkina Faso (BF) du 5 au 11 février 2023, ensuite à la 1ère édition du Festival des Féministes , Édith qui a reconnu que cette formation qui était riche en contenu, lui a aussi permis de faire la rencontre d’autres Féministes avec lesquelles elles ont partagé leurs différentes expériences et de préciser que c’est parce qu’elle pense  que le Collectif est non seulement le cadre idéal pour mieux apprendre sur le Féminisme ( et m’approprier ses idéaux mais aussi et surtout c’est le  lieu pour un engagement effectif avec d’autres femmes dans la lutte contre les inégalités et les injustices pour une société épanouie), qu’elle a voulu en  être membre .  

Féminin Actu s’est entretenu avec cette Femme chercheure, ouverte et surtout très accessible.

Féminin Actu (F.A) : Vous êtes coauteur du livre Le statut de la femme dagara : approche anthropologique et philosophique, pourrez-vous nous en dire sur le contenu ? De quoi s’agit-il exactement ? Quelles sont les différentes parties, le nombre de pages ?

Edith Da (E.D) :  Dr SOMÉ / SOMDA M. Alice, Directeur de recherche au CNRST, Dr SOMDA D. Vivien, Maître-assistant, Enseignant-chercheur à l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest / Unité universitaire d’Abidjan (UCAO-UUA) et moi-même avons entrepris des travaux de recherche sur le statut de la femme dagara et cela a abouti à la publication d’un ouvrage intitulé Le statut de la femme dagara : approche anthropologique et philosophique. Tous les trois, nous avons en commun la culture dagara et une formation en philosophie.

On entend souvent dire que « les philosophes sont des rêveurs, ils n’ont pas les pieds par terre ». Pour signifier que ceux qui font la philosophie sont des personnes qui s’adonnent à la pure spéculation qui n’a rien à avoir avec la vie pratique. Cet ouvrage vise entre autre à prouver que la philosophie ne s’éloigne pas de la réalité. Elle se veut une réponse aux multiples problèmes que connait l’homme dans la quête de son épanouissement.

 Composé de 265 pages, l’ouvrage a été édité par l’Harmattan en décembre 2021. Il est structuré en trois grandes parties et s’intéresse à  la vase problématique qui est celle de la condition de la femme dans l’Afrique contemporaine confrontée à la modernité et à la mondialisation et dans un contexte où la passion des débats et la pression des besoins peuvent faire ombrage à la raison. L’étude s’est contentée d’aborder cette problématique en se référant à un peuple précis et à sa culture ; autrement dit, cette étude a porté sur la condition de la femme dans la société dagara. Elle a essayé de répondre autant que faire se peut, à la question du sens de la féminité chez les Dagara.

Pour y parvenir, l’étude s’est d’abord attachée à présenter la vision dagara de la femme en examinant les contes et les mythes sans perdre de vue la réalité quotidienne marquée par des situations critiques et décisives comme la crise de l’infidélité conjugale et le veuvage. Cela a permis de dégager l’image de la femme telle que véhiculée par l’imaginaire et transmise de génération en génération chez les Dagara. À l’occasion, quelques droits de la femme dans la société dagara ont été présentés : droit de disposer de son corps, droit à la propriété privée et à l’initiative économique, droit à la sécurité sociale. De tout cela, il apparaît clairement que la femme dagara est en principe un être libre doté de nombreux droits ; mais elle doit encore se battre pour jouir de ces droits dans cette société patriarcale, désormais ouverte à la modernité, au christianisme et à l’islam. Dans ce contexte, elle est confrontée à des problématiques nouvelles comme la transmission du nom et l’accès à la terre.

Pour saisir au mieux le sens de la féminité chez les Dagara, un long détour dans l’histoire de la philosophie a été nécessaire et a permis de placer le particulier dans la perspective de l’universel. Ainsi, a été traitée la question de la prétendue infériorité de la femme en partant des textes philosophiques et de la culture dagara. L’idée qui en découle, c’est que cette infériorité ne peut être fondée ni philosophiquement, ni selon la culture et la sagesse dagara.

Mais l’on sait que la réalité n’est pas une reproduction de l’idéal et de ses principes. En effet, dans le quotidien de la vie comme tout au long de l’histoire, la femme est traitée comme un être inférieur, généralement exclu de la gestion de la chose publique. Mais cela n’autorise pas à ignorer la belle place occupée par la femme dans l’Égypte pharaonique ni les grandes figures de femmes qui, en Afrique, ont présidé aux destinées de leurs peuples. Ces considérations ont permis d’aborder la question du statut de la femme sur le plan philosophique en partant du rapport entre la philosophie politique moderne et le féminisme. L’on remarque que, dans les faits, la femme dagara au contact des exigences de la société moderne, souffre d’injustices et de discriminations. Parmi les injustices dont est victime la femme africaine en général et dagara en particulier, il y a l’injustice épistémique, le manque d’équité et le défaut de reconnaissance. Elle ne peut s’en sortir que par la révolte : pas la révolte du lion qui casse tout mais celle de l’enfant qui est plutôt une révolution constructive, si l’on veut emprunter l’expression nietzschéenne.

Cette révolution exige que l’on pense la différence des genres non comme une opposition qui conduit à une certaine lutte infinie de classes sexuelles, mais plutôt comme une complémentarité qui permet à chacun de s’épanouir  au mieux, en déployant ses capacités et en s’assumant comme révoltée, pour le bien de toute la société. C’est le chemin de cette société juste que Platon appelait de tous ses vœux, même si son idéalisme nécessite des adaptations dans le réel de l’histoire.

Ces considérations théoriques doivent être rapportées aux défis de l’heure. C’est ainsi qu’il est apparu opportun voire nécessaire de s’intéresser à la contribution de la femme au développement comme moyen de libération et d’épanouissement personnel et collectif. À cet effet, une attention particulière a été accordée à la justice sociale qui est nécessaire aussi bien au développement socioéconomique de la société qu’à l’émancipation de la femme. Pour ce qui est précisément de l’engagement de la femme dans le développement socioéconomique, une étude de terrain a permis de sortir de l’ordre purement théorique et de voir les femmes à l’œuvre dans le milieu dagara. Concrètement, cette partie de l’étude a porté sur la contribution des rizicultrices de deux coopératives accompagnées par la Fondation Dreyer dans la zone de Dano : Handi dans le village de Moutori et Ikaagnin dans le village de Gbagba. Il ressort de cette partie de l’étude que l’engagement des femmes de ces coopératives produit des effets nombreux et bénéfiques pour elles-mêmes, pour leurs familles, pour leurs villages et au-delà. Par la riziculture, les femmes de ces deux coopératives se présentent en fin de compte comme des actrices du développement endogène. Placée au cœur du processus de développement, la femme peut contribuer à résoudre le problème de l’injustice dont elle est victime. L’étude de l’engagement des femmes conduit à prôner une culture de la citoyenneté active et des politiques de développement qui soient sensibles au genre.

En somme, même si la femme dagara a un statut inférieur par rapport à l’homme, sa condition n’est peut-être pas la pire. Elle jouit de droits importants ; elle a surtout besoin de s’armer de courage pour se battre jusqu’à pouvoir jouir pleinement de ces droits qui pourront être compléter en fonction des exigences et des défis du moment présent. Plus sûrement, l’étude permet de conclure à partir du cas des Dagara qu’en matière d’émancipation de la femme, la généralisation qui uniformise en masquant les particularités est dangereuse. Si globalement la condition de la femme est précaire du fait de la domination masculine, il faut reconnaître que le niveau de précarité varie en fonction des groupes et des milieux culturels. La femme souffre partout, mais pas pareillement. La rhétorique de l’émancipation doit tenir compte des particularités. Dans la pratique, il s’agit tantôt d’inventer des droits pour améliorer la condition féminine ; tantôt, il s’agit d’inviter les femmes à s’armer du courage qu’exige la liberté pour jouir de droits reconnus depuis des siècles. Pourquoi mendier ce qui est déjà acquis ?

Il faut simplement le défendre contre celui qui veut le détourner ou le cacher. Le pays dagara et, peut-être, toute l’Afrique n’est pas une terre où il n’existe pas depuis des siècles de droits reconnus aux femmes.

En fait, l’un des chantiers les intéressants qui s’ouvrent aux féministes africain(e)s qui, jusque-là, ont tendance à singer leurs collègues d’Europe et d’Amérique, c’est d’inventorier les droits reconnus aux femmes dans les différentes cultures africaines, de les faire connaître, de les transformer en lois positives. La femme ne s’épanouira en Afrique qu’en tant qu’Africaine, dans une collaboration d’égale à égale avec l’homme qui partage sa culture ou, tout au moins, la respecte.

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(F.A) : Comment se porte le livre ?

 (E.D) : Il se vend bien et ceux qui voudraient l’avoir peuvent contacter l’un des auteurs ou l’acheter directement en ligne.

Votre mot de fin ?

Juste lancer une invitation aux femmes tout comme aux hommes dans le monde entier en général et au Burkina Faso en particulier à œuvrer pour l’égalité des droits.  

Quand on parle de féminisme, on se rend compte que le combat pour les droits des femmes passe trop souvent pour un synonyme de haine des hommes. Or, par définition, le féminisme est la croyance au principe que les hommes et les femmes devraient avoir les mêmes droits et les mêmes chances. C’est la théorie de l’égalité politique, économique et sociale des sexes.

Il n’est pas du tout compliqué d’être féministe. Accepter de l’être s’aspirer à la réalisation d’un monde meilleur. Car en fait, les hommes sont autant emprisonnés dans des stéréotypes de genre que les femmes, et s’ils en sont libérés, les choses changeront naturellement pour les femmes. Emma Watson, première ambassadrice de bonne volonté d’ONU Femmes, agence des Nations-Unies pour l’égalité et l’indépendance des femmes dans le monde, dans son discours devant l’ONU disaient : « Si les hommes ne se sentent pas obligés d’être agressifs, les femmes n’auront pas à se sentir soumises. Si les hommes n’ont pas à contrôler, les femmes n’auront pas à être contrôlées. Les hommes et les femmes doivent se sentir libres d’être sensibles. Les hommes et les femmes doivent se sentir libres d’être forts … ». Elle semble signifier à travers ces propos que le féminisme est aussi l’affaire des hommes.

Mon souhait est que les hommes prennent leurs responsabilités afin que leurs filles, sœurs et mères puissent être exemptes de tout préjuger, mais aussi pour que leurs fils aient le droit d’être vulnérables et humains aussi, qu’ils puissent retrouver cette partie d’eux-mêmes qu’ils ont abandonnée et, ce faisant, puissent être vraiment eux-mêmes… dans une version plus vraie et complète. À défaut, ce sont les femmes qui doivent oser inventer les stratégies nécessaires pour leur émancipation totale.

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